APPELS A COMMUNICATIONS

De l’ « Extrême-Orient » à l’ « Indopacifique ».
Crises, conflits et processus de paix en Asie-Pacifique
(XXe-XXIe siècles)

Colloque international, 1er et 2 juin 2026  (Montpellier)

Date limite d’envoi des propositions : le 24 janvier 2026

AAC (PDF)

L’importance économique et géopolitique de l’Asie-Pacifique n’est plus à démontrer, au moins depuis la fin de la Guerre froide. Le déplacement du centre de gravité de l’économie- monde a même précédé la chute du mur de Berlin puisqu’au milieu des années 1980, les échanges commerciaux transpacifiques ont dépassé pour la première fois les échanges transatlantiques. Conséquence de ce pivot, les échanges entre l’Europe et l’Afrique étaient devancés à leur tour, vingt ans plus tard, par ceux noués entre l’Asie (comprise du Japon à l’Inde) et l’Afrique subsaharienne. Aujourd’hui, l’Asie-Pacifique (hors Inde et Australie) produit à celle seule 60 % du PIB mondial et 66 % de la croissance mondiale. L’Inde et la Chine réunies, qui représentaient 10 % du PIB mondial en 1995 en concentrent aujourd’hui près d’un tiers, tandis que le poids de l’Europe a diminué de moitié. Décelé dès le début des années 1990 par les experts de la Banque mondiale attentifs à l’accélération de la croissance économique de plusieurs pays d’Asie du Sud-Est et à leur intégration économique croissante avec l’Asie du Nord-Est, le « miracle asiatique » se poursuit et creuse l’écart entre l’Asie- Pacifique, qui réunit ces deux sous-régions, et l’Europe.

Forte de succès économiques spectaculaires, l’Asie-Pacifique est entrée depuis une quarantaine d’années dans une ère de paix interétatique, bien qu’au prix de processus de constructions stato-nationales autoritaires et particulièrement violents dans la répression des contestations et dissidences internes, comme en Chine, en Indonésie, aux Philippines ou en Birmanie. Les Occidentaux ont dû abandonner, malgré eux, l’illusion, entretenue au lendemain de la Guerre froide, que la croissance économique y favoriserait inéluctablement la démocratie.

De la paix retrouvée, certains penseurs asiatiques des relations internationales contemporaines tirent aujourd’hui une légitime fierté. Ainsi, le diplomate et universitaire singapourien Kishore Mahbubani oppose-t-il sans détour la stabilité de la stabilité de l’« Asie orientale » au désordre de l’« Asie occidentale », région qu’il juge dominée géopolitiquement par un Occident en déclin, dépendant des États-Unis et miné par une succession de regrettables et coûteux conflits armés.

Pourtant, cette pax asiatica revendiquée et sans cesse revisitée à l’aune de l’histoire du XXe siècle, quand ce n’est pas celle du siècle précédent, est encore fortement matinée de pax americana, et la pax sinica recherchée par Beijing se heurte à tant d’obstacles qu’elle est encore loin de devenir réalité.

La recomposition actuelle des rapports de force dans le monde, la volonté de la République populaire de Chine de défier la domination américaine dans le monde et tout particulièrement en Asie-Pacifique où l’architecture de sécurité est encore largement celle mise en place par les États-Unis avec leurs alliés après 1945, la résurgence de conflits frontaliers et notamment maritimes dans lesquels la Chine n’hésite plus à proclamer haut et fort ses prétentions maximalistes, la vigueur des nationalismes, rendent en effet cette paix de plus en plus « froide ». Le réarmement collectif des puissances asiatiques n’épargne même plus le Japon, où la puissante digue pacifiste semble se fragiliser un peu plus, année après année.

Récurrentes, surtout autour de Taiwan et en mer de Chine méridionale, mais aussi de part et d’autre de la frontière terrestre entre l’Inde, le Pakistan et la Chine, les tensions actuellement les plus préoccupantes, on le sait, sont en partie le fruit de crises et de conflits hérités de la période de la Guerre froide. C’est en Asie-Pacifique, tout particulièrement dans les péninsules indochinoise et coréenne, que les guerres ont été les plus longues et les plus couteuses après 1945 ; c’est en Corée, entre 1950 et 1953, que les États-Unis, l’URSS et la RPC ont connu leur seul et unique affrontement militaire direct ; et c’est sur leurs frontières terrestres que les puissances communistes – l’URSS et la Chine en 1969, puis la Chine, le Vietnam et le Cambodge entre 1978 et 1989 – ont brisé leurs alliances idéologiques sur l’autel d’intérêts de sécurité qu’elles jugeaient alors gravement menacés. Entre 1946 et 1979, l’Asie du Nord-Est et l’Asie du Sud-Est ont ainsi concentré 80 % des morts de toutes les guerres qui ont affecté le monde, avant que le Moyen-Orient ne prenne le relais dans les années 1980.

Et pourtant, l’historiographie française et francophone, si dynamique sur l’Europe et la relation transatlantique, est restée beaucoup trop discrète sur bien des conflits civils, régionaux et internationaux de la période de la Guerre froide en Asie, comme sur leurs interactions avec l’Europe, l’Afrique ou l’Amérique latine. En dépit de quelques progrès ponctuels, elle continue de souffrir d’un déficit de recherches, de connaissances, de synthèses, de visibilité et de coopérations. Cette faiblesse nourrit le reproche d’occidentalo-centrisme adressé à la discipline des relations internationales par de nombreux analystes asiatiques, en particulier en Asie du Sud-Est, et plus largement au sein du « Sud global », dont la Chine revendique désormais le leadership.

L’école d’histoire des relations internationales, telle que Pierre Renouvin, Jean-Baptiste Duroselle et leurs successeurs l’ont développée en France à partir des années 1950, n’a certes pas négligé cette région du monde, notamment en prenant soin d’encourager la formation et la carrière de spécialistes de l’espace sino-indochinois. Mais il a fallu beaucoup de temps pour commencer à « décentrer et mondialiser, par l’Asie, l’histoire du XXe siècle », comme l’a fait Pierre Grosser dans sa tentative pionnière d’histoire connectée des enjeux politiques et militaires en Asie-Pacifique au XXe siècle, et plus récemment Jean-Louis Margolin sur la Seconde Guerre mondiale en Asie-Pacifique.

À l’exception des conflits indochinois, qui ont concentré l’essentiel des recherches en histoire des relations internationales comme en histoire militaire, l’étude des rapports de force et des crises, des guerres mondiales et des conflits asiatiques, ainsi que des négociations bilatérales ou multilatérales ayant pu y mettre un terme provisoire ou définitif, a été largement négligée par les historiens internationalistes. Robert Frank soulignait déjà, en 2012, la « difficile internationalisation de l’histoire des relations internationales ». Même Relations internationales – qui a fêté en 2024 son demi-siècle d’existence en se félicitant à juste titre de son caractère moins occidentalo-centré –, n’a consacré qu’un nombre indigent de numéros à l’espace est-asiatique, alors que les contributions aux dossiers thématiques et les « nouvelles recherches » mises en valeur dans cette revue témoignent ces dernières années d’une nette « asiatisation » des objets.

C’est en partie pour commencer à corriger ce flagrant déséquilibre que les membres du comité de rédaction de Relations internationales ont décidé de consacrer à l’Asie-Pacifique leur colloque annuel, les 1er et 2 juin 2026 à Montpellier. À la lumière des transformations économiques, stratégiques, culturelles et académiques à l’échelle mondiale, mais aussi du nombre croissant de mémoires et de thèses consacrés en France à l’Asie-Pacifique, il apparaît nécessaire, quarante ans après La question d’Extrême-Orient, 1840-1940 de Pierre Renouvin (1946), et sa relecture à la fin des années 1980 par le sinologue François Joyaux dans sa Nouvelle question d’Extrême-Orient sur les années 1945-1978 – de relancer une nouvelle et collective dynamique autour de l’histoire des relations internationales dans cette région du monde. L’effort de décentrement qu’elle implique ne saurait se limiter à un simple élargissement des objets d’étude, des échelles d’analyse, des acteurs, des temporalités ou des concepts géopolitiques pris en compte. Il suppose également une intégration plus systématique des sources, des méthodes et des productions historiographiques asiatiques, afin d’enrichir nos perspectives et de contribuer à une véritable mondialisation de la discipline.

Le colloque que nous accueillerons à l’Université de Montpellier Paul-Valéry sera centré sur l’Asie du Nord-Est (Japon, Mongolie, péninsule coréenne, République populaire de Chine et Taiwan) et l’Asie du Sud-Est (incluant les 11 membres officiels de l’ASEAN), réunis sous le vocable d’Asie-Pacifique – l’Asie tournée vers le Pacifique – avec son extension à l’est – le Pacifique insulaire – et une ouverture possible à l’Inde et au concept d’Indo-Pacifique, plus en vogue depuis les années 2010.

Il valorisera de nouvelles approches des crises et des conflits aux XXe et XXIe siècles, de la première guerre civile chinoise (1928-1937) à l’actuelle guerre civile en Birmanie, de la guerre russo-japonaise de 1904-1905, à l’origine de l’aggravation des rivalités géopolitiques du premier XXe siècle et de la réactivation en Occident du « péril jaune », à celle qui a vu quatre puissances asiatiques se déchirer entre 1979 et 1989 – le Cambodge et la Chine, d’une part ; le Vietnam et l’URSS, de l’autre. Dans le sillage de l’histoire globale de la Guerre froide, il accordera une attention particulière aux propositions consacrées aux conflits, guerres civiles et violences de masse pendant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, aussi bien qu’à leur mémoire et à leur héritage, globalement occultés dans l’historiographie française et francophone malgré l’importance de leurs conséquences régionales et internationales. En particulier, les guerres de décolonisation, en Indonésie, en Indochine ou en Malaisie, les violences de masse qui ont secoué la Chine comme la plupart des pays d’Asie du Sud-Est, le génocide perpétré par les Khmers rouges au Cambodge, mériteront d’être davantage interrogés au prisme des relations internationales et de ses différentes registres, bilatéral, multilatéral, transnational.

Les organisateurs souhaitent aussi promouvoir dans ce cadre thématique des communications sur les relations inter-asiatiques et européo-asiatiques, sur le rôle des puissances extérieures à la région telles que la Russie et les pays européens, pris séparément, mais aussi à partir de la deuxième moitié du XXe siècle en tant que Communauté économique européenne/Union européenne.

Enfin, si l’histoire des relations internationales a d’emblée placé la guerre et de la paix au cœur de ses analyses, le déséquilibre demeure flagrant entre les études consacrées aux conflits armés, encore largement dominantes, et celles plus discrètes relatives aux processus de paix, dans leurs phases successives de « sortie de guerre » et d’« entrée en paix ». Une place particulière sera donc réservée aux acteurs et modalités des négociations, en incluant les étapes souvent moins étudiées des pré-négociations ; à la mémoire de ces négociations, de leurs succès comme de leurs échecs, au rôle des organisations internationales (ONU) ou régionales (ASEAN) dans les sorties de guerre, la restauration, le maintien et la consolidation de la paix, aux conceptions proprement asiatiques de la paix, de la sécurité et du pacifisme, dont la dimension asiatique n’est guère abordée en dehors du Japon. En tentant d’éclairer le narratif pacifiste qui s’est affirmé en Chine et dans plusieurs autres pays asiatiques au cours de ce premier quart du XXIe siècle, il conviendra d’interroger à notre tour la mutation de cet espace régional, foyer de tensions et de conflits majeurs tout au long du XXe siècle devenu espace de paix interétatique, en tentant d’approfondir les pistes de recherches explorées par Stein Tønnesson et son équipe dans un programme de recherches collectif de la décennie précédente. Se posera notamment la question cruciale, au regard des tensions récurrentes qu’elles provoquent et des menaces croissantes qu’elle fait peser, du rôle des deux premières puissances mondiales dans le maintien – ou la fragilisation – de cette pax asiatica.

 

Modalités de soumission

Les propositions de communication doivent être envoyées avant le 24 janvier 2026 à ces deux adresses : pierre.journoud@univ-montp3.fr et ariane.knuesel@unifr.ch

Elles devront inclure :

  1. Un titre de communication.
  2. Un résumé de 400 à 500 mots (en français ou en anglais) présentant la problématique, les sources mobilisées et la méthodologie.
  3. Une courte notice bio-bibliographique (affiliation institutionnelle, fonction, et publications principales).